Le témoin du petit village
Saidouiza
Tout le village était acquis à la Révolution et ses combattants vénérés. On était convaincu que lorsqu’un moudjahid est tué, son visage s’illumine …. Les quelques rares hommes d’Ighil Bouamas qui portèrent l’uniforme de l’armée d’occupation en tant que harkis se comptaient sur les doigts d’une seule main ; ils le firent généralement contraints et forcés , par dépit…., ou à la suite d’une arrestation .... , à un âge qui dépassait à peine celui de l’adolescence.
Au plus fort de la guerre, il ne demeurait dans ma famille qu’un cousin avec un de ses fils et moi-même Saïd , pour faire marcher la presse ( le pressoir) . Le cousin se plaignait de rhumatismes articulaires mais les mauvaises langues disaient ironiquement qu’il simulait le handicap pour ne pas se faire arrêter par les militaires.
A partir du poste militaire du village d’en face ( Ath Ali Ouharzoune ) les militaires lançaient de temps en temps leurs obus dans n’importe quelle direction pour signaler leur présence ou prendre pour cible toute ombre qui bougeait .Tous nos mouvements étaient guettés en permanence et rien n’échappait aux sentinelles à tel point , qu’un jour , les militaires firent spécialement une descente dans notre huilerie , ayant, semble-t-il , repéré aux alentours un jeune homme , dont les cheveux noirs enduits d’huile d’olive reflétaient la lumière du soleil . C’était suffisant pour soupçonner une tentative d’envoi de signaux à l’aide d’un morceau de verre ou d’un miroir… . En fait ce garçon ne faisait que surveiller les pièges qu’il avait tendus aux oiseaux qui venaient dans les parages subtiliser quelques olives .
Les soldats entrèrent précipitamment dans la presse comme des gens déterminés à arrêter ou à tuer les personnes qui s’y trouvaient. Sans aucune explication, ils ordonnèrent aux personnes trouvées sur les lieux, à l’exception des femmes et des jeunes enfants, de les suivre. Armé de sa canne, le cousin souffrant de rhumatismes , traînait péniblement la jambe droite et donnait même l’air d’accentuer son handicap devant les militaires qui , après un bon bout de chemin sur la route , décidèrent de les relâcher . Le lendemain, on apprit qu’un harki avait intercédé en leur faveur….

Photo Borrel 1960
Quelques mois plus tard, ce harki fut l’objet d’un attentat en plein milieu du village , tout près du bassin de la fontaine centrale. Il était le plus âgé des harkis natifs de notre village.